Des pizzas Buitoni contaminées en 2022⚓
Bactérie E. coli : comment des pizzas Buitoni ont été débusquées par les autorités sanitaires
C’est au terme d’une véritable enquête policière que cette préparation a été incriminée dans l’épidémie d’insuffisances rénales qui, depuis le début de l’année, a tué deux enfants ou adolescents et touché des dizaines d’autres en France métropolitaine.
source : Le Monde, par Florence Rosier et Laurence Girard, Publié le 1er avril 2022 à 02h03
Mercredi 30 mars, Santé publique France a confirmé le lien – suspecté depuis la mi-mars – entre la consommation de pizzas surgelées Buitoni et plusieurs dizaines de cas d’infections graves, chez des enfants et des adolescents, qui ont tué deux d’entre eux. […] Vendredi 1er avril, le parquet de Paris annonçait l’ouverture d’une enquête pour « homicides involontaires », « tromperie » et « mise en danger d’autrui ». Celle-ci, ouverte le 22 mars, a été confiée au pôle santé publique du parquet de Paris, dont la compétence est nationale.
C’est, de fait, une épidémie très inhabituelle d’infections alimentaires, des syndromes hémolytiques et urémiques (SHU), qui sévit en France métropolitaine depuis le début de 2022. Chaque année, environ 160 cas de SHU[*] sont notifiés à Santé publique France, qui a mis en place un dispositif de surveillance de cette maladie depuis 1996. Diarrhée souvent sanglante, douleurs abdominales et parfois vomissements : de trois à dix jours après la contamination, ces symptômes apparaissent et peuvent évoluer, après une semaine, vers une insuffisance rénale. Grande fatigue, pâleur, diminution du volume des urines, qui deviennent plus foncées, et parfois convulsions en sont alors les signes avant-coureurs. La prise en charge, à l’hôpital, repose notamment sur des transfusions sanguines et/ou des dialyses. Environ 10 % des enfants atteints développent ainsi une forme sévère.
Chez l’enfant, ce syndrome est le plus souvent dû à une bactérie, Escherichia coli. Une fois ingéré, ce germe infectieux libère ses toxines dans le tube digestif, où elles vont détruire les cellules intestinales. Ces toxines gagnent aussi la circulation sanguine, qui les transporte jusqu’aux petites artères des reins. Là, elles créent « des brèches, explique Matthieu Jamme, néphrologue et médecin réanimateur, dans un tweet. Ces brèches vont être colmatées », mais leur réparation entraîne un rétrécissement, voire une occlusion, des petites artères rénales.
Les reins, dont l’alimentation en oxygène s’appauvrit, se mettent à dysfonctionner. D’où l’insuffisance rénale « qui, si elle n’est pas traitée rapidement, va être responsable d’une accumulation de déchets dans le sang pouvant être responsable d’un arrêt cardiaque », ajoute Matthieu Jamme. Sans aller jusqu’à cette extrémité, « 30 % des patients qui font des formes sévères conservent des séquelles rénales », indique le professeur François-Xavier Weill, responsable de l’unité bactéries pathogènes entériques de l’Institut Pasteur. En cas de symptômes évocateurs, il faut donc immédiatement consulter un médecin.
Attention : « La plus grande épidémie de SHU jamais vue en France »
Mais comment est-on passé de moins de deux cents cas par an à une épidémie touchant en seulement trois mois plusieurs dizaines de personnes, dont de nombreux enfants ? « C’est la plus grande épidémie de SHU[*] jamais vue en France », souligne François-Xavier Weill. La plus grande, mais aussi la plus atypique. Inhabituelle, cette épidémie l’est pour au moins trois raisons. Par la saison où elle frappe, d’abord. « On observe chaque année un pic estival », indique au Monde Santé publique France. Mais, ici, ajoute cette instance, les contaminations recensées « dépassent largement le nombre habituellement observé de SHU[*] pédiatriques en hiver ».
Par l’âge des patients touchés, ensuite. « Habituellement, ce sont les enfants de moins de 3 ans qui sont les plus fréquemment touchés », indique François-Xavier Weill. Mais, ici, les enfants malades sont âgés de 1 à 18 ans et leur âge médian est de 7 ans. « Il y a des adolescents atteints », relève le microbiologiste.
Intrigués par ces deux singularités, les experts lancent une véritable enquête policière. Et finissent par démasquer le coupable, lui aussi inhabituel : des pizzas contaminées. Le plus souvent, en effet, les aliments en cause dans les SHU[*] sont des steaks hachés ou des fromages au lait cru recelant la bactérie. Le lait ou la viande peuvent, dans ce cas, avoir été contaminés par les matières fécales des bovins.
Comment le responsable de l’épidémie actuelle a-t-il été traqué et débusqué ? Les investigations ont été conduites par plusieurs instances : la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), la direction générale de la santé (DGS) et Santé publique France. Du côté des victimes, les enquêteurs ont fait appel à un précieux indic : les cartes de fidélité que proposent les enseignes de distribution. « En 2011, ce système de traçage avait déjà permis de remonter à des graines germées, responsables d’une épidémie de SHU qui avait fait plus de cinquante morts en Allemagne », explique François-Xavier Weill. Ici, l’indic a révélé un produit plus fréquemment consommé par les familles touchées que par les familles épargnées : des pizzas de la gamme Fraîch’Up, de la marque Buitoni (des surgelés à faire cuire au four).
Hypothèse : « Une éventuelle contamination au niveau de la pâte »
Restait à confondre le suspect. C’est l’ADN, une nouvelle fois, qui a servi de pièce à conviction. Première percée le 17 mars, lorsque, « dans le congélateur d’une famille touchée, les autorités de santé ont analysé une pizza Fraîch’Up encore non déballée et découvert dans la pâte des bactéries E. coli », a indiqué Nestlé France, propriétaire de la marque, lors d’une conférence de presse. Le lendemain, le groupe agroalimentaire est contraint de lancer une procédure de rappel des produits encore en rayon dans les magasins. Il cesse aussi la livraison et la production de cette gamme de pizza dans son usine de Caudry (Nord).
Seconde étape : le génome de la bactérie trouvée dans cette pizza a été séquencé, puis comparé au génome des bactéries prélevées chez les patients. Verdict : « Les séquences d’ADN ont “matché”, relève François-Xavier Weill, également responsable du centre national de référence, qui séquence tous les cas d’E. coli en France. La souche de la bactérie que nous avons ainsi identifiée est nouvelle, elle n’a jamais été trouvée ailleurs dans le monde. » Au 28 mars, cette souche était retrouvée chez 41 jeunes patients – 34 autres restaient en cours d’investigation. De son côté, Nestlé a admis que la bactérie trouvée dans la pizza était « d’une souche similaire à celle incriminée dans les cas référencés ».
L’enquête n’est cependant pas terminée. « À ce jour, la provenance de la bactérie présente dans la pizza Fraîch’Up reste indéterminée », reconnaît Nestlé France. Son directeur général industriel, Jérôme Jaton, « pencherait plutôt pour une éventuelle contamination au niveau de la pâte ». La farine, de fait, est incriminée depuis une dizaine d’années dans des épidémies de SHU survenues aux Etats-Unis. Mais elle ne l’avait jamais été jusqu’alors en France. « Le blé pourrait être contaminé par des déjections d’animaux dans les champs, par l’utilisation d’eau souillée pour laver les grains, par des déjections de rongeurs dans les farines des moulins… », liste François-Xavier Weill.
Un autre fait intrigue. La bactérie E. coli résiste au froid, mais la cuisson la détruit. D’où viennent alors les contaminations humaines ? Peut-être d’une mauvaise cuisson des pizzas – une hypothèse à confirmer. En attendant, les autorités sanitaires rappellent leurs recommandations à l’usage des familles : bien se laver les mains avant tout repas ou préparation d’un repas ; ne pas boire d’eau non traitée ; cuire à cœur les steaks hachés, surtout pour les enfants de moins de 5 ans ; éviter, à cet âge, le lait cru et les fromages crus à pâte molle ; bien laver les légumes et les fruits consommés crus… A cette liste, Santé publique France a récemment ajouté un élément : « Les préparations à base de farine (pizza/pâte à cookies…) ne doivent pas être consommées crues ou peu cuites. »